Le suicide français : financer le passé au détriment du futur
Cela fait déjà quelques temps qu'on ne gère plus un budget en France, on administre une faillite. Le ballet qui se joue autour du nouveau budget, sous la baguette de Sébastien Lecornu, n'est qu'une continuation de cette comédie macabre : un mélange d'arrogance et de panique, de déni et de gestes désordonnés.
Source : Sébastien Lecornu sur X.
Dans la tradition macroniste, il ne lésine pas sur l'autocongratulation. Il présente cette ébauche de budget comme un acte de "responsabilité", un exercice de "courage" politique. Je suis fatigué d'entendre parler ces abrutis, je n'entends plus qu'une chose : la bande-son d'un État qui a perdu le sens des réalités et qui, comme la noblesse à la veille de 1789, s'entête à débattre de futilités pendant que le pays brûle.
Ce n'est pas un plan de redressement, c'est un document politique conçu pour une seule chose : survivre quelques mois de plus dans un Parlement ingouvernable. On colmate une brèche ici, on en ouvre une autre là, on augmente les impôts en jurant que c'est temporaire. Cela me fait penser à ce que disait Talleyrand à propos des Bourbons, la classe dirigeante française n'a "rien appris, ni rien oublié", elle est incapable d'ouvrir les yeux et de comprendre que le modèle économique et social sur lequel la France s'est bâtie depuis cinquante ans est en faillite.
Quand un gouvernement vous annonce quelques milliards poussifs de "réduction" d'un déficit qui dépasse les 140 milliards en une demie-année, et qu'il fait passer cela pour un effort de baisse de dépenses, il vous prend tout simplement pour un idiot. On ne dépense pas moins, on augmente juste la dépense un peu moins vite que prévu ; c'est comme un alcoolique qui passerait de trois bouteilles de vin par jour à deux et appellerait ça de la sobriété.
Bien entendu, ce déficit ne peut pas être corrigé par une hausse d'impôts, car l'État ne se soigne pas, il continue de transférer sa maladie au secteur productif sans comprendre que la France se trouve déjà à droite de la courbe de Laffer, donc qu'une augmentation des impôts provoque en réalité une baisse des recettes fiscales.
Courbe de Laffer
Bien sûr, l'État ne songera jamais au grand jamais à punir les vrais coupables d'aujourd'hui. En 2025, les vrais foyers de dépenses incontrôlées, ce sont les dépenses sociales, et en particulier les retraites, or c'est le tabou absolu : impossible de toucher au confort d'un électorat vieillissant qui vote massivement.
Le débat sur les retraites en France n'est plus un débat économique, c'est le testament d'une civilisation qui a décidé de léguer des dettes plutôt qu'un héritage. Le système de retraites par répartition est devenu une pyramide de Ponzi légalisée, un pacte faustien où les jeunes actifs sont sacrifiés sur l'autel du confort électoral des aînés, car là est l'objectif : conserver le vote des boomers pour rester au pouvoir le plus longtemps possible.
Quand Lecornu annonce fièrement une augmentation de six milliards pour les retraites pour éviter la "régression sociale", il ne fait pas un acte de justice, il signe un chèque en bois sur le compte d'une génération future qui n'a même plus les moyens de se loger. Il perpétue le tabou, il verse un autre somnifère à un patient déjà dans le coma.
Source : Sébastien Lecornu sur X.
C'est là que se trouve le cœur du suicide français : l'euthanasie lente et délibérée des actifs au profit des inactifs. Ce modèle n'est plus un système de solidarité, c'est un mécanisme de transfusion inversée où l'on prélève le sang des vivants pour perfuser des rentes au passé. Chaque euro de cotisation supplémentaire, chaque point de prélèvement obligatoire n'est pas un investissement dans l'avenir (dans l'éducation, l'innovation, la souveraineté réelle), mais un tribut payé à un électorat dont l'horizon s'arrête à la prochaine élection.
Cette euthanasie des forces vives du pays, c'est la mort de l'ambition, l'exil des talents, le triomphe de la rente sur l'entreprise. Ces traîtres au gouvernement ont sacrifié la vitalité pour la tranquillité, le risque pour le confort, l'avenir pour le statu quo. Et ne vous méprenez pas, leur fameuse rhétorique communiste de "l'inachèvement" ("ce n'était pas du vrai communisme...") est encore une fois bien loin de la réalité. La réforme des retraites n'est pas "inachevée" comme le prétend Lecornu ; elle est l'achèvement d'une logique délibérément mortifère.
Ce qui me désole le plus, c'est de savoir à quel point ce débâcle était évitable, car la dynamique occidentale moderne n'est pas née hier. L'historien Arnold Toynbee (un des tous premiers historiens que j'ai lu, qui m'a donné envie d'étudier l'Histoire) expliquait il y a déjà plus de 90 ans que les civilisations ne meurent pas assassinées, mais par suicide. Nous y sommes, le suicide français, c'est de choisir de financer l'inactivité passée plutôt que l'activité présente, et l'investissement futur.
Arnold Toynbee et sa série de livres "A Study of History" (publiés entre 1934 et 1961)
Si seulement nos élites modernes savaient lire, ils auraient pu ouvrir deux ou trois bouquins de Spengler, Toynbee, Burckhardt ou même Nietzsche pour un peu de poésie, et auraient pu éviter ce désastre. Mais la réalité, c'est que cette situation est parfaitement voulue par la classe dirigeante française. Le "débat public" n'existe pas, le gouvernement n'écoute pas le peuple car ses intérêts sont contraires à la survie de l'État.
VISION
Pendant que les ineptes au gouvernement jouent leur comédie du pouvoir, les marchés, eux, ont déjà rendu leur verdict. Le spread entre les obligations 10 ans françaises et allemandes dépasse les 80 bps.
Cela signifie que les créanciers du monde entier demandent une prime de risque de plus en plus élevée pour prêter leur argent à un État qu'ils jugent de moins en moins fiable. La France n'est plus dans le club des pays "sûrs" du nord de l'Europe. Elle est dans le wagon des pays à problèmes, aux côtés de l'Italie, avec la Grèce et l'Espagne qui, ironiquement, présentent aujourd'hui des dynamiques plus saines.
Pendant des années, la Banque Centrale Européenne a masqué cette réalité. Son bilan hypertrophié a agi comme une morphine, anesthésiant la douleur de l'endettement de la France, mais la fête est finie. La BCE a rangé la planche à billets pendant quelques temps, les marchés sont de retour et leur regard est impitoyable : ils voient un taux d'emprunt à 3.6% pour financer un État dont l'économie croît péniblement à 1% et dont la dette représente 113% du PIB.
C'est la définition mathématique d'une spirale de la dette, où la dette d'hier nourrit celle de demain, dans un cercle vicieux qui ne peut se terminer que de deux manières : un défaut ou une inflation galopante pour l'effacer en valeur nominale, et ainsi complètement ruiner ses détenteurs.
Le trade le plus évident est de rester positionné sur un élargissement du spread FR10y-DE10y. Chaque nouvelle agitation politique à Paris, chaque dérapage budgétaire confirmé est un catalyseur, et l'objectif de 100 bps n'a désormais rien d'une fantaisie, c'est simplement la prochaine étape logique de la défiance.
Par proxy, l'Euro est pris en otage par la France. Vendre l'euro, c'est parier contre la capacité de la classe politique française à se réformer. C'est le trade le plus pur sur la décadence politique du continent, car les autres pays sont inter-dépendants et accrochés au destin de la France.
Bien sûr, quand la confiance dans la monnaie et dans la signature des États s'évapore, où va l'argent ? Dans ce qui a survécu à tous les empires et à toutes les faillites : l'or. La crise de la dette française est une crise de l'euro par procuration, et l'or n'est plus une relique barbare, c'est l'assurance-vie parfaite contre l'incompétence des gouvernements.
En somme, le spectacle politique français n'est qu'un interlude bruyant avant le retour inéluctable du réel. Tandis que le gouvernement s'épuise en artifices sémantiques et en calculs électoraux, les marchés financiers, eux, ne mentent pas. Le verdict est déjà en train de s'écrire, non dans les discours officiels, mais dans le langage froid des chiffres : celui d'un déclin programmé, où la fuite vers des actifs tangibles comme l'or n'est plus un choix spéculatif, mais un acte de lucidité face à un suicide collectif annoncé.