"Deal is done" : Trump proclame la victoire, mais quelle victoire ?
Après deux jours de tractations à Londres, Trump l’a annoncé sur Truth Social : “Deal is done”. Selon lui, la Chine va livrer tous les aimants et terres rares nécessaires pendant que les États-Unis "laisseront les étudiants chinois revenir dans les universités américaines".
Post de Donald Trump sur Truth Social - 11 juin 2025
Ajoutez à ça les tariffs de 55% sur les importations chinoises, dont un 25% hérité de la première guerre commerciale et un 20% estampillé “fentanyl” et vous avez ce que la Maison Blanche appelle une victoire.
De la manière dont Trump l'a formulé, en insistant sur le fait de laisser les étudiants chinois revenir étudier aux États-Unis, cela paraît effectivement un excellent deal.
"On récupère vos terres rares, et vos étudiants viennent payer nos universités".
Mais n'est-ce pas là un stratagème classique du businessman Trump ? A savoir, toujours se présenter vainqueur même quand on est dos au mur, peu importe le résultat réel de la confrontation ?
Extrait de Donald Trump, joué par Sebastian Stan dans le film "The Apprentice"
J’écrivais dans mon rapport d'hier que ce deal était asymétrique. Aujourd’hui, c’est évident : la Chine cède des ressources, les États-Unis cèdent des privilèges symboliques qu'ils font passer pour une concession, alors qu'ils en bénéficient également. Car en effet, les étudiants chinois restent souvent aux US après leurs études, avec un taux de rétention d'environ 50% dans les 2 ans après le diplôme, et même au dessus de 50% dans les filières STEM (technologiques).
Dans ce rapport de force, l’Amérique s’accroche à sa puissance normative, alors que la Chine, elle, vend ce que les autres ne savent pas produire. Or, en économie, c'est la production qui prime.
Avant d'entrer dans les détails de ce deal, un point sur l'inflation et les taux :
Données d'inflation US - 11 juin 2025
Tout est en dessous des attentes. Et pourtant, comme attendu, les marchés ne s'emballent pas. Cela n'aide évidemment pas le dollar, EURUSD s'apprécie de 0.6% aujourd'hui, ce qui n'est pas négligeable pour la paire. Mais les indices boursiers, qui reflètent avec davantage d'expression le niveau de forme du pays, redonnent leurs gains quelques heures après le print du CPI pour finir la journée dans le rouge, marquant une hésitation autour des données économiques relativement au contexte géopolitique entre les US et la Chine.
Cela dit, le taux des obligations US à 10 ans s'apaise jusqu'à 4.41% aujourd'hui, ce qui vaut de l'or compte tenu du contexte d'émissions de dette américaine de cette semaine (119 milliards).
Ventes aux enchères de dette américaine cette semaine
Taux obligations US 10 ans
Spread obligations US 10 ans et 2 ans
Maintenant, entrons dans les détails du deal US-Chine, pourquoi est-il asymétrique ?
Voici ce que Trump nous vend dans son post Truth Social :
"Full magnets, and any necessary rare earths, will be supplied, up front, by China. Likewise, we will provide to China what was agreed to, including Chinese students using our colleges and universities."
La Chine fournit les briques de la puissance militaire et énergétique américaine, et les États-Unis autorisent les enfants de l’élite chinoise à revenir dans les universités américaines de l'Ivy League. Difficile de trouver un symbole plus net du rapport de force inversé entre ces deux pays. Les US n'ont rien de tangible à proposer, leur unique proposition de valeur est l'attractivité (historique, idéologique) du territoire. Inutile de préciser, on comprend vite à quel point une telle relation est fragile, surtout quand vous êtes celui qui dépendez de l'autre.
Et pour faire bonne mesure, Trump ajoute :
"We are getting 55% tariffs, China is getting 10%."
La formulation est très habile, on reconnait la qualité de Trump de toujours se montrer sous son meilleur jour, comme évoqué juste au-dessus. Mais elle masque l’essentiel : ce que les États-Unis obtiennent en tariffs, ils le payent en dépendance industrielle vitale.
La Chine n'est pas bête, elle n'accepterait évidemment pas un deal qui la désavantage, car elle a les cartes en main. Donc elle sécurise ses exportations critiques, tout en maintenant un tarif modéré, et surtout, ce que Donald Trump omet complètement, c'est que la Chine ne touche absolument pas à l’essentiel de sa politique industrielle, ce qui est capital dans la stratégie de Xi Jinping pour conserver la mainmise sur ces matériaux critiques.
Trump a peut-être "gagné" la guerre des communiqués de presse. Mais ce qu’il vient d’avouer entre les lignes, c’est que les États-Unis ont effectivement besoin de la Chine pour fonctionner.
VISION
Sur les marchés, en ce qui concerne EURUSD, j'ai évoqué dans mes rapports précédents le trop grand risque de se positionner cette semaine, en raison de la volatilité.
Scores de devises - 11 juin 2025
Et suite au CPI, mon modèle indique un signal faible de vente sur le dollar, tandis que le signal sur l'euro continue de remonter vers la baseline.
Le yen japonais, quant à lui, souffre également d'une surprise baissière sur les données d'inflation, mais cela reste marginal. Il encaisse le coup, mais sans conséquence directionnelle nette
La moyenne des scores est globalement faible. Cette absence de signaux forts illustre bien le narratif actuel : géopolitique > données économiques.
A ce titre, je privilégie des positions sur les devises à plus fort beta macro, comme le dollar australien, néo-zélandais et canadien.
Dans le contexte d'un calme de la guerre industrielle US-Chine suite à ce deal, les chaînes d'approvisionnement occidentales vont redémarrer et des devises exportatrices de matières premières peuvent suivre.
Je privilégie donc des achats sur l'aussie, le kiwi ou le CAD pour capitaliser sur leur sensibilité au contexte géopolitique.
Scores paires de devises AUD, NZD et CAD
En conclusion, ce que Trump vend comme une victoire commerciale pour l'Amérique est en fait une reddition stratégique, thèse de mon rapport d'hier.
Trump acte officiellement le fait que les US ne peuvent pas se passer de la Chine, ni pour ses minerais, ni pour ses cerveaux (les étudiants chinois). Et le marché commence lentement à comprendre que derrière cette pièce de théatre, de supposé combat d'égal à égal, se joue une toute autre scène : celle du déclin de l'autonomie américaine.